# 9 | Adapter le modèle RàI
Adapter un modèle du primaire-secondaire aux besoins des cégépiens
Le cours Écriture et littérature (601-101) est reconnu comme un «cours défi» pour de multiples raisons : transition du secondaire au collégial, appropriation d'un nouvel univers scolaire, développement de l'autonomie d'apprentissage. C'est particulièrement vrai pour les groupes «hors séquence» composés d'élèves ayant déjà connu des difficultés. Face à cette réalité, je me suis demandé comment adapter ma pédagogie pour maximiser l'engagement de mes élèves dont les besoins sont très diversifiés.
Le modèle RàI traditionnel
Le modèle de la Réponse à l'intervention (RàI) est une approche systématique visant à identifier et soutenir les élèves en difficulté. Au Québec, son application est bien documentée au primaire et secondaire, proposant trois niveaux d'intervention progressifs : enseignement de haute qualité pour tous (80%), interventions ciblées (15%) et interventions intensives individualisées (5%).
C’est bien beau de diagnostiquer les besoins, mais encore faut-il être en mesure d’y répondre et d’intervenir de façon adéquate. L'intérêt du modèle RàI réside dans son approche systématique et préventive : il met l'accent sur «la prévention qui se traduit par la mise en place d'un enseignement efficace et de stratégies gagnantes pour tous les élèves.» Cependant, la répartition traditionnelle 80-15-5 ne correspond pas tout à fait à la réalité d'un «cours défi» collégial où une majorité des élèves nécessitent une forme d'intensification dans leur accompagnement.
Une adaptation à trois niveaux
Face à cette réalité où une majorité des élèves nécessitent un soutien accru, j'ai développé une adaptation (pas très orthodoxe, je l’avoue) du modèle RàI qui maintient trois niveaux, mais en redéfinit la distribution et l'intensité. L'intensification des interventions ne signifie pas un changement radical d'approche, mais plutôt une continuité renforcée. Comme le précise le Référentiel, certains élèves «ont besoin de plus d'enseignement que celui offert au niveau 1 pour progresser de façon satisfaisante.» (MEES, 2012, p.14) Cette continuité permet de maintenir la cohérence des apprentissages tout en augmentant le niveau de soutien.
Niveau 1 - Enseignement universel avec accompagnement intégré
Reconnaît que tous les élèves font face aux défis inhérents à un cours exigeant
Propose des vérifications fréquentes et systématiques de la compréhension
Intègre naturellement l'accompagnement personnalisé dans la pratique guidée
Offre un accompagnement flexible qui s'ajuste aux besoins de l’élève
Niveau 2 - Intervention intensive personnalisée
S'adresse aux élèves qui font face temporairement ou durablement à des défis supplémentaires
Implique une approche proactive de la part de l'enseignant
Offre des opportunités de reprise et de rattrapage
Propose un accompagnement accru qui se fait en classe
Reconnaît le caractère évolutif des besoins qui peuvent varier selon les circonstances
Niveau 3 - Intervention très intensive ou spécialisée
Concerne les élèves qui nécessitent un soutien substantiel et constant
Se déroule principalement hors classe sur rendez-vous
Implique absolument une aide spécialisée (enseignant, CAF, API, services adaptés)
Permet un accompagnement plus approfondi et hautement personnalisé
Cas types et observations
Voici des cas types qui montrent concrètement comment le modèle RàI s'applique dans ce cours de littérature.
Intervention de niveau 1 :
Le cas de Marie illustre l'efficacité d'une intervention préventive de niveau 1. Consciente de ses défis dès l'évaluation diagnostique initiale (I en français), elle s'est rapidement inscrite au CAF. Cette proactivité, combinée à une assiduité et une complétion parfaites des artefacts, lui a permis de progresser constamment. Son utilisation stratégique d'un jeton de reprise démontre sa capacité d'autorégulation. Sa progression de I à D, puis vers M à l'artefact 12, témoigne de l'efficacité d'un accompagnement universel bien utilisé.
Intervention de niveau 2 :
Le parcours de Samuel illustre l'impact d'une intervention de niveau 2 bien ciblée. Après un début difficile marqué par des absences et trois artefacts non complétés, une prise en charge à la 5e semaine a permis un revirement significatif. L'utilisation stratégique de ses jetons pour reprendre les artefacts 6 (dresser une carte mentale) et 8 (formuler des hypothèses et identifier des mécanismes), combinée à une amélioration de son assiduité, a contribué à son revirement. Sa progression démontre l'efficacité d'une intervention modérée permettant un «raccrochage» après un départ difficile. La transition au collégial se passe mieux qu’on aurait pu le croire au début.
Intervention de niveau 3 - Cas 1 :
Le cas de Léa souligne l'importance d'une intervention de niveau 3 face à des difficultés complexes. Malgré une inscription précoce au CAF et un taux de complétion parfait des artefacts, ses difficultés linguistiques persistent. Son assiduité irrégulière (83%) et l'utilisation maximale de ses jetons de reprise suggèrent des obstacles plus profonds nécessitant potentiellement un diagnostic et un accompagnement spécialisé via les services adaptés. Malheureusement, le diagnostic ne vient pas.
Intervention de niveau 3 - Cas 2 :
Sofia illustre la pertinence d'une intervention intensive et coordonnée. Étudiante internationale confrontée à des défis linguistiques et d'adaptation culturelle, elle maintient une assiduité remarquable (98%) et complète tous ses artefacts malgré des performances fluctuantes. La collaboration entre différents services (aide pédagogique, travailleuse sociale) et des rencontres hebdomadaires avec moi ont permis de stabiliser sa situation. Son cas démontre l'importance d'une approche holistique dans l'intervention de niveau 3, particulièrement pour les élèves cumulant plusieurs défis.
Le plus difficile, je trouve, c’est de maintenir des attentes élevées tout en demeurant réaliste sur les résultats escomptés. C’est ce que ces 4 exemples illustrent. Malgré tous ses efforts, l’enseignant·e est parfois impuissant·e devant une combinaisons de facteurs défavorables.
Perspectives et limites
Comme le souligne le Référentiel d’intervention en écriture, les interventions doivent être suffisamment différenciées pour assurer la progression des élèves. Mais la plus grande difficulté de l’application du modèle RàI en classe demeure la gestion du temps et de l’espace. Honnêtement, je ne suffis pas aux interventions. Pour y parvenir, on peut peut-être envisager (ou rêver à) un réaménagement des ressources actuelles et un travail d’équipe plus concerté.
On pourrait imaginer, par exemple, que cette adaptation pourrait se concrétiser à travers un Centre d'aide en littératie et en français écrit (CALFÉ), une structure permettant d'opérationnaliser les différents niveaux d'intervention. Les interventions de niveau 1 resteraient en classe, celles de niveau 2 prendraient la forme d'ateliers au CALFÉ, et les interventions de niveau 3 se dérouleraient dans un cadre individualisé. Cette structure faciliterait la coordination entre intervenants tout en assurant un suivi systématique des progrès. Le défi principal est l'organisation des interventions intensives dans un cadre horaire peu flexible.
Au-delà de ces défis, cette exploration d'une adaptation du modèle RàI au contexte collégial montre qu'il est possible de structurer notre accompagnement pour mieux soutenir la réussite. L'expérience nous rappelle que la qualité de la relation pédagogique reste au cœur de l'apprentissage, les outils de suivi n'étant que des moyens d'actualiser cette dimension fondamentalement humaine de l'enseignement.
Dans la prochaine chronique, nous verrons comment l’intelligence artificielle peut enrichir les outils de suivi.
[Publié le 18 novembre 2024 | révisé le 12 décembre 2024]
GROUPE DE TRAVAIL SUR LES COURS DÉFIS (2023), Regards croisés sur les conditions de réussite éducative des premiers cours de littérature et de philosophie au cégep, Rapport du groupe de travail mis en place dans le cadre de la mesure 3.5 du Plan d’action pour la réussite en enseignement supérieur (PARES) 2021-2026 [En ligne]
MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION ET DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR (2012), Référentiel d’intervention en écriture [En ligne]