Note éditoriale (2025): Dans le contexte actuel de transformations de nos systèmes éducatifs face à l'intelligence artificielle et aux défis sociétaux, il nous a semblé pertinent de republier cette série d'articles originalement publiée en 2016 dans Panorama21. La Finlande offre une formation unique de neuf ans, appelée l’école fondamentale, où est dispensée une éducation de qualité par des enseignants hautement qualifiés. Puisque l’égalité des chances y est une valeur cardinale, l’élève est rigoureusement soutenu tout au long de son parcours. L’organisation de ce système éducatif est relativement décentralisée, mais elle s’articule autour d’un curriculum national fort. L’évaluation du système par une agence indépendante en assure l’évolution continue au-delà des alternances politiques à court terme.
Un système qui fascine
Le modèle finlandais attire bien des curieux et un véritable « tourisme pédagogique » s’est développé en Finlande à la suite des résultats du PISA. De nombreux visiteurs s’intéressent à ce système éducatif inusité et vont sur le terrain pour en être témoins. Fred Dervin, professeur en éducation interculturelle à l'Université d'Helsinki, a coordonné, en juin 2013, le numéro 16 de la revue Recherches en éducation consacré au « mythe de l’éducation finlandaise ». Dans son livre La meilleure éducation au monde?, où il développe un peu plus son propos, il remet en question ces mythes, mais montre aussi comment l’expertise finlandaise en éducation a participé à créer une image de marque nationale.
Ce « nation branding », récupérant des techniques de marketing appliquées aux grandes marques commerciales, vise à faire la promotion de l’identité et de la réputation finlandaises pour attirer les consommateurs ou les investisseurs. On peut en voir une illustration dans le fait que le ministère des Affaires étrangères produit, en 8 langues, beaucoup d’information sur l’éducation. Mais la Finlande va encore plus loin dans l’exportation de ses expertises.
En janvier 2016, le gouvernement a mis sur pied un organisme où travaillent 300 professionnels dans 31 pays. L’objectif de Finpro, cet organisme public, est d’encourager l’investissement étranger et le tourisme en Finlande. Finpro est notamment responsable du Programme national d’exportation de l’éducation, qui offre le savoir-faire finlandais et des solutions globales en matière d’éducation (Education Export Finland). Mais ce n’est pas le seul secteur destiné à l’étranger. Dans ce pays dépourvu de grandes ressources primaires, l’avenue est tout de même audacieuse : la Finlande exporte son expertise en matière de développement durable (Cleantech Finland), d’alimentation (Food from Finland) et de soins de santé (FinlandCare).
La comparaison Québec - Finlande
La question de l’importation du système éducatif finlandais est souvent posée par ceux qui en font la découverte. C’est le cas de Michael Moore dans son documentaire « Where to Invade Next? ». Dans le cas du Québec, sommes-nous face à deux systèmes incompatibles? Guy Pelletier, professeur à l’Université de Sherbrooke au Département de la gestion de l’éducation et de la formation, s’est penché sur cette comparaison. Il a produit, en 2007, une intéressante analyse intitulée Finlande-Québec : Regards comparatifs de deux systèmes éducatifs en évolution. Pelletier dresse les caractéristiques générales de la Finlande, puis décrit l’organisation de son système éducatif, du secteur préscolaire jusqu’à l’éducation des adultes. Selon le chercheur, « au regard de la conception et de la gestion du système éducatif, nous ne sommes pas dans deux mondes incomparables et certaines orientations et pratiques développées en Finlande méritent d’être présentées et d’être discutées. Elles portent à réfléchir sur la structure de notre propre système. »
Pelletier rappelle aussi que les écarts Finlande-Québec aux enquêtes PISA « ne sont pas si élevés qu’on aurait pu le croire ». La compétence des élèves de 15 ans soumis aux tests est tout à fait comparable (notons au passage que les résultats du PISA 2015 seront publiés en décembre 2016). Guy Pelletier fait aussi remarquer que la Finlande a produit une réforme des programmes du primaire et du secondaire dans une approche similaire à celle du Québec. Cependant, des différences structurelles et contextuelles entre les deux systèmes limitent leur comparaison. La force du système finlandais, note l’auteur, « ne repose pas tant dans son organisation locale que dans la conception du parcours de formation » de l’école fondamentale. Il estime, de plus, que « la création d’une agence externe responsable de l’ensemble des activités de conception, d’élaboration, d’opérationnalisation et d’évaluation du curriculum national constitue un atout majeur dans la capacité du système à évoluer et à s’adapter rapidement aux changements éducatifs. » Comme nous l’avons vu précédemment, cette agence externe évite « une politisation excessive des questions éducatives ».
Guy Pelletier note cependant que l’arrimage de l’école fondamentale avec les ordres d’enseignement suivants n’est pas optimal. Certes, les études sont gratuites, mais l’admission au niveau postsecondaire se révèle très sélective. Comme 99,7 % des Finlandais de 16-17 ans complètent le cursus de l’école fondamentale, les institutions postsecondaires ont du mal à combler la demande créée par l’énorme flux des nouveaux étudiants. Cette demande dépasse leur capacité d’accueil et elles « ne répondent qu’aux deux tiers des diplômés de l’enseignement secondaire ou professionnel ». On constate ensuite qu’ « il faut attendre parfois de 2 à 3 ans afin de pouvoir entrer dans une université ou dans une école polytechnique. » Cela peut entraîner « le report d’entrée dans la vie active, de la fondation d’une famille ou de la contribution au développement économique du pays », quand ce n’est pas tout simplement l’abandon des études postsecondaires.
L’avenir finlandais
On peut comprendre que la pression de l’excellence finlandaise créée par le PISA soit assez forte. Guy Pelletier pense que « si la Finlande ne se maintient pas à la tête des classements internationaux, il est à craindre que son système éducatif et ses membres soient dévalorisés tant sur la scène nationale qu’internationale. » Pasi Sahlberg répond cependant à cette hypothèse que « les classements PISA n’ont pas tellement d’importance pour la pensée finlandaise. C’est vu un peu comme une prise de tension artérielle, qui permet de vérifier la direction qu’on prend, mais qu’on ne considère pas comme point de repère. Les décisions concernant l’éducation ne sont pas prises sur la base des résultats des classements PISA. Au lieu de cela, ce qui est essentiel, ce sont les connaissances dont auront besoin les enfants et les jeunes dans l’avenir ».
La leçon finlandaise
Rien n’est parfait, mais si son système éducatif est inspirant, c’est que, comme le souligne Pelletier, la Finlande « obtient des résultats internationaux nettement supérieurs aux pays riches soutenant une forte conception néolibérale de l’économie et de l’éducation, comme ce sont les cas de l’Angleterre et des États-Unis. »
À une époque où le vent néolibéral souffle fort sur la politique des États, l’austérité n’épargne l’éducation ni au Québec ni en Finlande. La réduction des dépenses de l’État se conjugue partout sur un fond de crise économique mondiale où la croissance n’est pas au rendez-vous. Que l’expertise en éducation devienne une ressource exportable peut, certes, faire craindre que le marché ne s’approprie un bien public cher aux Finlandais ; il s’agit d’un enjeu important dont ces derniers sont conscients. Mais, pour nous qui sommes très loin de cette réalité, la réforme de l’école fondamentale, montre qu’il est possible de penser le développement des enfants autrement qu’en termes de performance, de compétition et de méfiance générale à l’égard de l’autre. Elle montre qu’il est possible de gérer autrement l’éducation, de la considérer comme un bien collectif et, à travers elle, de développer un projet de société, par le biais d’un plan national fort et de communautés actives, autonomes et soutenues.
L’engagement des enseignants dans leur institution, le développement et la reconnaissance de leur expertise ainsi que de leur autonomie professionnelle sont autant de facteurs positifs qu’il faut continuer à soutenir. L’école finlandaise est le fruit d’efforts constants, généreux, déployés dans la continuité, où l’émancipation, la justice sociale et l’équité occupent une place centrale. C’est surtout une belle leçon d’humilité, de courage et de persévérance.
Note de publication:
Cet article a été initialement publié dans :
Bédard, G. (2016, décembre). La leçon finlandaise. Panorama21, n°4, p. 6.