Dans notre dernière chronique, nous avons exploré comment la surcharge cognitive affecte la production d'analyses littéraires de qualité. Une manière efficace d’éviter cette surcharge est l’application de stratégies cognitives. Une telle stratégie se définit comme une procédure, c'est-à-dire une série de tâches ordonnées, appliquée à l'exécution d'un travail ou à la résolution d'un problème.
Ainsi, nous pouvons développer une approche systématique basée sur l'enseignement explicite de stratégies cognitives. Cette approche s'appuie sur les trois principes fondamentaux identifiés par Gauthier (2013). D'abord, on voit à la mise en œuvre systématique de pratiques validées par la recherche. Il faut également créer un environnement propice à l'apprentissage. Enfin, non l'enseignement de stratégies cognitives, mais aussi celui de stratégiques métacognitives assure un meilleur apprentissage.
L'efficacité de ces principes est particulièrement démontrée pour les apprentissages complexes comme l'analyse littéraire, où l'élève doit mobiliser simultanément plusieurs habiletés de haut niveau.
Cette approche stratégique s'aligne également avec les principes de l'apprentissage visible développés par Hattie (2017). Comme il le souligne, «ce qui importe le plus, c'est que l'enseignement soit visible pour l'élève et que l'apprentissage soit visible pour l'enseignant» (p. 24). L'enseignement explicite des stratégies répond précisément à cet objectif en rendant transparent le processus d'analyse littéraire. Au lieu de simplement «engager les élèves dans des activités intéressantes», nous adoptons «une posture qui favorise l'effort intellectuel, les défis et l'apprentissage» (p. 51).
Dans le cas précis du cours Écriture et littérature, le choix et l'ordonnancement des stratégies s'alignent avec l'approche ELLAC qui vise à développer progressivement l'autonomie du lecteur. Chaque stratégie active un niveau spécifique de la taxonomie de Bloom, permettant une progression cognitive graduelle : les premières stratégies mobilisent la compréhension et l'application, les stratégies intermédiaires développent l'analyse, tandis que les stratégies avancées relèvent de l'évaluation et de la création. Cette progression permet d'éviter la surcharge cognitive tout en développant des compétences de plus en plus complexes.
Une progression du simple au complexe
Ces stratégies sont enseignées explicitement à l’élève, c’est-à-dire que cet enseignement passe par trois phases successives : le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome.
On commence par des stratégies fondamentales : noter ses réactions au texte, résumer les éléments de contenu, observer les personnages et leurs relations. Ces premières approches permettent aux élèves de développer une confiance initiale dans leur capacité à aborder les textes.
Progressivement, les stratégies évoluent vers l'analyse des éléments formels : observation de la narration et de ses effets, étude de la temporalité, repérage des procédés littéraires. Cette complexification graduelle permet aux élèves de construire leur autonomie pas à pas.

Cette progression dans la maîtrise des stratégies transforme visiblement le rapport des élèves à l'apprentissage. Libérés de la pression des notes chiffrées et guidés par des rétroactions constructives, ils développent une confiance croissante dans leurs capacités. Cette confiance se traduit par un engagement remarquable : la cohorte de cet automne (deux groupes totalisant 53 élèves) maintient une assiduité de 93,3% et un taux de complétion des artefacts de 94,2%. Plus révélateur encore, plusieurs commentaires des élèves indiquent qu'ils passent d'une motivation axée sur la note à un véritable désir de progresser.



Prendre des notes de cours efficaces
La méthode Cornell structure la prise de notes pour faciliter la révision, la réflexion et l'utilisation ultérieure des informations. Cette approche divise la page en trois zones distinctes : une colonne principale pour noter le contenu essentiel, une marge de gauche plus étroite pour les questions clés et les mots-repères, et un espace en bas de page pour la synthèse. Les diaporamas du cours adoptent une organisation visuelle (titrage, couleurs) qui permet aux élèves de transférer directement l'information dans leur système de notes tout en maintenant une cohérence structurelle.
Durant la phase de prise de notes, l'attention se porte d'abord sur les idées principales et leur hiérarchisation. Les élèves développent progressivement leur capacité à distinguer l'essentiel de l'accessoire, à repérer les concepts fondamentaux et à noter les exemples pertinents. La marge de gauche, complétée lors de la révision, transforme les notes en outil d'étude actif : les questions formulées permettent de tester sa compréhension, tandis que les mots-clés facilitent la navigation dans le contenu. L'espace de synthèse, rempli après le cours, encourage une première reformulation personnelle des concepts, renforçant ainsi leur mémorisation.
Cette organisation systématique est un véritable outil d'apprentissage puisque les textes qui seront plus tard produits reprennent souvent la même structure : idées principales, illustrations, mini-conclusion. De plus, la révision régulière des notes, facilitée par leur structure claire, permet une consolidation progressive des connaissances dans la mémoire à long terme.
Analyser un énoncé de travail
L'élève apprend à identifier les concepts clés dans la question qui lui est posée. Il doit également être capable de comprendre la relation entre l’énoncé et le texte à l’étude. Quelques exercices simples permettent de guider les étudiants et étudiantes à travers le processus et créer des automatismes. L’élève cherche les mots clés dans le dictionnaire, identifie l’objectif du travail, précise la structure requise.
Exemple : «Est-il juste d'affirmer que, dans Les belles-soeurs de Michel Tremblay, la modernité est idéalisée les personnages ?».
Activer les connaissances antérieures
Cette stratégie s’applique davantage dans les cours Littérature et imaginaire (102) et Littérature québécoise (103) où l’enseignement implique des connaissances déclaratives portant sur l’état social, politique économique ou culturel d’un contexte historique. L'élève apprend à mobiliser ses connaissances antérieures pour éclairer l’énoncé et le texte à l’étude. Il doit être capable de faire des liens entre les différentes notions et concepts.
Au moment du modelage, je pose à voix haute quelques questions pour expliciter le raisonnement : « Qu’est-ce que je connais à ce sujet ? Qu’avons-nous vu en classe sur cette période, sur cette œuvre, sur cet auteur ? Qu’est-ce que j’ai aussi vu dans d’autres cours qui pourrait m’être utile pour répondre à cette question ? » Nous faisons ensemble l’inventaire de nos connaissances pertinentes : nous dressons la liste de toutes les notions à même de nous aider à formuler des idées et à interpréter l’œuvre ou l’extrait.
L’activation des connaissances antérieures permet de les rendre disponible à la réflexion.
Les stratégies de lecture : au-delà des méthodes
Les stratégies de lecture transforment l'élève en lecteur actif et engagé. Au lieu de suivre passivement l'histoire, il cherche activement des indices, questionne le texte et construit du sens. La technique fondamentale consiste à laisser des traces de lecture, qui s'articule autour de plusieurs axes d'observation.
En amont, l'examen du paratexte permet de contextualiser l'œuvre. Pendant la lecture, différentes stratégies se déploient : certaines ciblent la compréhension immédiate (noter ses réactions, résumer le contenu, créer des représentations visuelles), d'autres l'analyse des éléments formels (registre de langue, narration, temporalité), tandis que d'autres encore explorent la dimension narrative (relations entre personnages, structure du récit) et symbolique (motifs, contrastes, thèmes). L'observation des aspects psychologiques (émotions, besoins, valeurs) s'accompagne d'une attention particulière aux dimensions artistiques et intertextuelles. Cette approche systématique, enrichie par le questionnement et la recherche, permet une lecture approfondie et une analyse rigoureuse du texte.
La technique principale repose sur l’annotation du texte dans la marge, sur l’utilisation de marqueurs de couleur pour identifier et classer certaines idées, sur la mise en relation de certaines parties du texte. L’important est de laisser des traces de l’effet du texte sur soi, tant sur le plan émotionnel que rationnel. Ces éléments seront plus tard triés et organisés.
La nature complémentaire et combinatoire des stratégies encourage une vision multidimensionnelle des textes. L'élève ne se limite plus à une seule perspective, mais apprend à croiser les regards, à tisser des liens entre différents aspects du texte. Chaque stratégie trouve des points d'ancrage et des échos dans les autres, formant un maillage dense au service de l'interprétation.
La progression des stratégies développe graduellement des habiletés cognitives de plus en plus complexes, de la simple compréhension à l'analyse approfondie, de l'application à l'évaluation critique, jusqu'à la création d'interprétations originales. La complémentarité des stratégies appliquées favorise le critère de la nuance.
Schématiser la structure de sa réflexion par une carte mentale
La carte mentale constitue un outil fondamental pour organiser et visualiser ces idées de manière dynamique. Elle permet de décomposer le sujet en éléments clés tout en établissant des liens logiques entre eux. Son format non-linéaire favorise l'itération et stimule la créativité en permettant d'ajouter facilement ou de supprimer des éléments selon l'évolution de la réflexion. Cette approche visuelle renforce l'autonomie intellectuelle et facilite la compréhension des concepts complexes. La carte constitue une très bonne base avant le plan de rédaction.
La création d'une carte mentale permet de synthétiser la réflexion, d'identifier les idées principales et de structurer l'argumentation. Au moment de la pratique guidée, je fournis de grandes feuilles 11 x 17 pour la conception des cartes et les étudiants et étudiantes y travaillent en équipe de 2 ou 3 membres.
Lors du modelage en Écriture et littérature, je montre comment placer l'hypothèse d'objectif de communication au centre de la carte, puis identifier les mécanismes littéraires qui soutiennent cette hypothèse. Nous explorons ensuite comment repérer les procédés qui illustrent ces mécanismes et établir des liens logiques entre tous ces éléments. L'utilisation de différentes couleurs aide à distinguer les niveaux d'information tandis que les citations pertinentes sont notées directement sur la carte. Les cartes sont colorées et très efficaces parce qu'elles rendent visibles les liens entre les idées.
La mémorisation est également facilitée par les repères visuels et le format favorise naturellement le travail collaboratif et les échanges entre pairs. Notre suivi montre que les élèves maîtrisant ces techniques de schématisation obtiennent systématiquement de meilleurs résultats dans l'organisation de leurs analyses, avec une corrélation de 0.78 avec le critère de structure.
Développer une argumentation dans un plan
Un plan détaillé est élaboré après la structuration de la réflexion. Il permet aux élèves d’interpréter, d’expliquer et de développer leurs idées, tout en évitant le plus possible de produire un brouillon (qui serait une rédaction hâtive, donc une absence de planification). Le plan fait l’objet en classe d’un modelage et d’une pratique guidée de durées appréciables.
Le plan de rédaction représente la feuille de route essentielle pour construire une argumentation solide et cohérente. Il s'articule autour d'une hypothèse principale clairement formulée, soutenue par des arguments soigneusement sélectionnés et ordonnés. Cette structure permet de développer méthodiquement chaque argument en intégrant des preuves textuelles pertinentes et des explications détaillées. La démonstration de l'élève aboutit à une mini-conclusion où il expose ses déductions et ses inductions. Les transitions entre les parties sont particulièrement importantes, car elles mettent en évidence la progression logique du raisonnement. Le plan pousse l'élève à penser, inférer, situer, prouver, relier, déduire, induire et éventuellement générer des idées nouvelles. Ce sont toutes des caractéristiques d'un esprit critique en mouvement. Le plan est une étape qui sollicite les plus hautes habiletés cognitives, plus encore que la rédaction.
Exprimer ses idées dans un texte suivi
Si la carte et le plan aident à organiser les idées et à éviter la surcharge cognitive, la rédaction est la mise en œuvre des idées préalablement structurées et planifiées. Les étapes antérieures sollicitant les habiletés cognitives les plus complexes, la rédaction devient plus aisée. Souvent, le texte produit est plus fluide et plus clair, les citations sont mieux intégrées et la qualité du français est améliorée.
La rédaction finale transforme donc le plan plus ou moins synthétique en un texte analytique neutre mais persuasif. Cette étape exige l'adoption d'une posture analytique rigoureuse et l'utilisation d'un vocabulaire précis adapté au genre. Le développement des idées suit scrupuleusement la structure établie dans le plan, tout en veillant à la fluidité du propos et à l'intégration harmonieuse des citations. La clarté des explications et la précision des analyses démontrent la maîtrise du sujet et la rigueur du raisonnement.
Faire la révision linguistique de son texte
Pendant la rédaction, l'élève applique une stratégie de révision linguistique qui se concentre sur différentes cibles qui couvrent, notamment, la syntaxe, la ponctuation et l'accord grammatical. L'élève écrit quelques phrases, puis se révise systématiquement avant de poursuivre. La grammaire actuelle, avec ses manipulations syntaxiques, facilite grandement cette révision.
La révision est imparfaite, mais elle permet de régler une grande partie des erreurs. L’élève n’est pas en mesure de faire une révision adéquate au moment de la rédaction si la carte mentale et le plan n’ont d’abord pas établi la structure et le contenu de la réflexion en cours. L’élève tombe alors en surcharge cognitive et ne voit pas ses erreurs.
La relecture se concentre sur des aspects spécifiques de la langue qui sont problématiques pour l'élève et qui ont été repérées antérieurement par l'enseignant comme étant des cibles d'attention. Si le temps le permet en fin de processus, l'analyse grammaticale représente une étape la plus minutieuse de la révision. Cette approche microscopique vise l'excellence linguistique à travers un examen détaillé de la grammaire et de la syntaxe. Particulièrement efficace pour les textes courts comme les analyses littéraires, cette méthode permet d'atteindre un niveau optimal de précision linguistique.
La maîtrise de ces différents niveaux de révision développe progressivement une rigueur intellectuelle chez l'élève. Elle permet non seulement une meilleure compréhension des mécanismes de la langue, mais aussi le développement de compétences transférables à d'autres contextes académiques et professionnels. Plus important encore, elle favorise le développement d'une capacité d'autocorrection autonome.
Notre suivi montre que les élèves qui appliquent systématiquement cette méthode de révision voient leur maîtrise de la langue s'améliorer significativement : alors qu'ils faisaient en moyenne une erreur tous les 30 mots en début de trimestre, ils n'en font plus qu'une tous les 55 mots en fin de parcours. Cette progression témoigne de l'efficacité d'une approche structurée de la révision linguistique.
Les stratégies métacognitives
Les stratégies métacognitives développent chez l'élève une conscience approfondie de ses processus d'apprentissage et de lecture. L'auto-observation représente la capacité fondamentale à examiner ses processus mentaux, à identifier ses acquis et ses zones de développement. En développant cette conscience réflexive, le lecteur transforme sa lecture passive en démarche active, capable d'ajuster ses stratégies selon les besoins spécifiques de chaque texte.
L'autorégulation permet de mettre en pratique cette conscience métacognitive à travers une planification minutieuse des tâches, un monitoring constant de sa compréhension et une capacité à modifier ses approches lorsqu'elles s'avèrent inefficaces. Cette flexibilité stratégique optimise l'apprentissage en adaptant les méthodes aux exigences de chaque situation de lecture.
Nous voyons donc comment l'enseignement explicite est axé sur la pratique délibérée et distribuée de diverses tâches. Les résultats de notre projet pilote confirment l'efficacité de cette approche : 79,5% des élèves complètent avec succès les artefacts liés aux stratégies. Plus significatif encore, nous observons une forte corrélation (r=0.82) entre la maîtrise des stratégies de base et le développement des compétences analytiques plus complexes. Ces observations suggèrent que l'enseignement explicite des stratégies permet non seulement d'améliorer les performances immédiates, mais aussi de construire une base solide pour le développement des compétences de haut niveau.
«Ce qui importe le plus, c'est que l'enseignement soit visible pour l'élève et que l'apprentissage soit visible pour l'enseignant. Plus l'élève assume le rôle d'enseignant et l'enseignant, celui d'apprenant, plus les résultats sont positifs» (Hattie, p. 24). Sur une échelle plus globale, ce type d’enseignement offre de nouveaux outils pour mieux gérer leur mémoire de travail et leur attention. Les stratégies réduisent la tendance au multitâche et à l’attention fragmentée, favorisant ainsi la concentration et la gestion du stress.
[Publié le 6 décembre 2024 | révisé le 13 décembre 2024]
Références :
C. Gauthier, S. Bissonnette & M. Richard (2013), Enseignement explicite et réussite des élèves ; La gestion des apprentissages. Gaëtan Morin Éditeur.
Hattie, John. L'apprentissage visible pour les enseignants. Presses de l'Université du Québec, coll. «Éducation», 2017.
Willingham, Daniel T. Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école. La Librairie des Écoles, 2010.