# 27 | Pratiquer l’enseignement explicite
Des décennies de données probantes et d'apprentissage visible
L’enseignement explicite s’appuie sur deux piliers : l’efficacité et l’explicitation. L’efficacité renvoie aux stratégies d’enseignement qui ont une incidence réelle sur l’apprentissage, comme cela est démontré par les recherches en éducation. L’explicitation, quant à elle, consiste à rendre visible ce qui est habituellement implicite. Il s’agit de dévoiler les connaissances et les stratégies, de les montrer en action et de les faire pratiquer régulièrement en classe. L’objectif est de construire et d’accompagner le raisonnement de l'élève afin de consolider ses apprentissages de manière visible et concrète.
Origines et fondements
Développé initialement par Siegfried Engelmann sous le nom d'enseignement direct (Direct Instruction), cette approche a démontré son efficacité lors du projet Follow Through (1967-1977), une vaste étude comparant différentes méthodes pédagogiques. Dans les années 1980, Barak Rosenshine enrichit l’enseignement direct en le transformant en enseignement explicite. Il s’appuie sur de multiples principes pédagogiques pour formaliser la méthode à travers différentes modalités et procédures.
Entrons en classe et voyons comment se déroule concrètement ce type d’enseignement dirigé.
L’ouverture de la leçon (et liens avec les connaissances antérieures)
L’enseignant·e expose les objectifs de la séquence et rappelle les connaissances antérieures préalables.
Prenons un exemple concret : lors d'un cours sur l'analyse littéraire, j'ai commencé par annoncer l'objectif de la leçon : « Aujourd'hui, nous allons apprendre à élaborer une carte mentale ».
Puis j'ai enchaîné avec une révision des étapes que nous avions suivies jusque-là pour analyser un chapitre de l’oeuvre au programme. J'ai interrogé les élèves sur ce qu'on fait en phase de pré-lecture en soulignant l'importance d'étudier le paratexte pour faire quelques prédictions et éventuellement neutraliser nos biais de lecture. «Qu’avons-nous fait ensuite ?»
Un élève a ajouté que nous avions fait la première lecture et observé nos réactions initiales face au texte. C'est un moment crucial pour observer nos réactions, nos questions, nos doutes, nos surprises et nos émotions face au texte. Ces observations sont précieuses pour comprendre comment le texte crée des effets sur le lecteur ou une lectrice, un aspect que nous approfondirons plus tard dans notre analyse. «Après?»
Quelqu'un a rappelé que nous avons sélectionné des stratégies de lecture adaptées aux caractéristiques du texte. Elle a rappelé l'importance d'annoter le document, que ces annotations servent à prolonger notre mémoire de travail qui est très limitée. «Nous identifions les mots importants, nous notons dans la marge pourquoi ils sont importants ou révélateurs et nous identifions les procédés littéraires utilisés pour mettre en valeur ces idées.»
La modélisation (ou le modelage) : « Je fais. »
L’enseignant·e pose un « microphone sur sa pensée » et expose à voix haute le raisonnement qu’elle fait lorsqu’elle applique une stratégie.
Dans la suite du cours, nous approfondissons le concept de carte mentale, un outil que nous avions introduit précédemment. J'ai demandé aux élèves de rappeler les trois composantes principales : l'hypothèse d'objectif de communication, les mécanismes utilisés par l'auteur, et les procédés qui constituent ces mécanismes. Pour illustrer concrètement ces concepts, je présente un exemple de carte mentale basé sur la lecture que nous avons faite ensemble.
Cette modélisation me permet d'exposer aux élèves mon propre raisonnement. Un élément clé de ma méthode est l'utilisation d'un iPad projeté à l'écran. Cet outil me permet non seulement d'écrire ce que j’observe en temps réel, mais aussi de montrer aux élèves comment je réfléchis, comment je biffe, j’efface et je reformule mes idées en pensant. Ils peuvent ainsi voir concrètement le processus de pensée en action, ce qui rend l'apprentissage plus tangible et plus accessible.
Je montre comment je formule mon hypothèse d'objectif de communication, comment j’identifie les mécanismes et comment je sélectionne les preuves pertinentes. Je souligne ici l'aspect dynamique de ce processus, expliquant que je ne suis pas toujours certain de mes choix et que je n’hésite pas à modifier ma carte mentale au besoin. Cette démonstration vise à encourager les élèves à voir la carte mentale comme un outil flexible et évolutif, où il n'y a pas de mauvaises idées, seulement des idées qui se transforment. Quand je biffe une idée, quand je reformule une explication qui ne me satisfait pas, je montre aux élèves que l'apprentissage est un processus continu, fait d'essais et d'erreurs. Cette transparence crée un environnement où l'erreur est vue non pas comme un échec, mais comme une opportunité d'apprentissage.
La pratique guidée : « Nous faisons ensemble. »
Avec l’aide de l’enseignant·e, les étudiants et étudiantes appliquent la stratégie pas à pas.
Pour moi, la pratique guidée se déroule en deux temps : un travail collectif où le groupe élabore ensemble un exemple, puis un travail individuel supervisé où je circule pour accompagner chaque élève. Cette étape permet d'ajuster le soutien selon les besoins.
Prenons cette fois pour exemple l’enseignement du plan de rédaction. Il me permet d’illustrer ces deux façons de guider la pratique.
En premier lieu, nous faisons le plan d’un premier paragraphe en grand groupe. Nous formulons ensemble une hypothèse d'objectif de communication, nous identifions les mécanismes littéraires à l’oeuvre et nous sélectionnons des preuves pertinentes à travers des procédés littéraire. Pendant ce processus très dynamique, je pose beaucoup de questions (et je modélise ainsi la métacognition). Je fais parfois semblant que je ne suis pas toujours certain de mes choix. Puis je détaille la structure du plan, j’explique comment chaque idée principale correspond à un mécanisme, et chaque idée secondaire aux constituants de ce mécanisme, incluant les procédés littéraires.
En second lieu, les élèves se penchent individuellement sur le deuxième paragraphe et cette fois je circule entre les bureaux. Je réponds aux questions, je vais voir ceux que je dois superviser plus étroitement. Je continue de poser beaucoup de question. Ici, je souligne la différence entre les idées principales, formulées en phrases complètes avec un sujet et un prédicat. Là, j’aide à développer les idées secondaires, présentées de manière plus schématique avec des mots-clés et des flèches. Mes interventions servent à structurer la pensée, à partager des trucs pour identifier les idées, à les nommer précisément. C’est une forme de modélisation de la pensée à travers une foule de questions. J'essaie consciemment de modéliser ma propre métacognition et ma propre autorégulation.
Je donne beaucoup de rétroaction à cette étape. Cette forme de pratique guidée me permet d’accompagner individuellement chaque élève et de bâtir progressivement une relation pédagogie sécuritaire et bienveillante.
La pratique autonome : « Vous faites. »
Sans l’aide de l’enseignant·e, les étudiants et étudiantes s’approprient la façon de faire de façon autonome.
Lors de la pratique autonome, mes interventions sont moins nombreuses, car l’étayage diminue progressivement. Je donne un peu moins de conseils explicites, car je réponds aux questions par d’autres questions. La pratique autonome est parfois une simulation formative, parfois une évaluation plus explicite des compétences. Dans ce cas, la rétroaction est différée et donnée par écrit plutôt qu’oralement en temps réel. Je laisse l’élève expérimenter de manière autonome, je le laisser s’autoréguler tout en observant son comportement.
La clôture de la leçon (consolidation ou objectivation des apprentissages)
L’enseignant·e voit à l’objectivation de l’apprentissage avec les étudiants et étudiantes afin de le formaliser dans la mémoire à long terme.
L'objectivation, désormais systématique, clôt chaque séance. Par des questions ciblées, les élèves sont amenés à expliciter leurs apprentissages, par exemple en comparant la carte mentale et le plan. Même si toutes les étapes prévues n'ont pas pu être réalisées dans le bloc de deux heures, ce retour sur les objectifs initiaux reste primordial pour consolider les acquis.
L’enseignement explicite expose clairement et régulièrement les objectifs d’apprentissage et les aligne sur les critères de performance. Il repose sur un parcours progressif favorisant l’autonomie de l'élève : la modélisation lui montre la marche à suivre, la pratique guidée lui permet de l’appliquer sous supervision, puis la pratique autonome la conforte dans sa maitrise. Le questionnement et la rétroaction fréquente jouent un rôle crucial dans cette pratique. Ils éclairent les zones d’ombre, stimulent la réflexion et renforcent la mobilisation et l’engagement.
Dans un bloc de 2h d’enseignement, je ne passe évidemment pas par toutes ces étapes. Parfois, un bloc peut être consacré à la modélisation et la première phase de la pratique guidée, sans que nous fassions la deuxième phase, plus individuelle, ou sans que nous ne fassions la pratique autonome qui sera réservée à un autre cours. Mais à la fin, à chaque fois, nous faisons l’objectivation de la leçon et j’interroge les élèves sur ce qu’ils ont appris. Je boucle le cours avec les objectifs annoncés au début de la leçon.
L’expertise vient avec la pratique
L'enseignement explicite représente selon moi bien plus qu'une simple méthode pédagogique — c'est une transformation profonde de la relation enseignement-apprentissage. En rendant visibles les processus cognitifs, il permet aux élèves de développer une véritable autonomie intellectuelle. Cette approche prend un sens particulier aujourd’hui, où la capacité à comprendre et à maîtriser ses propres processus d'apprentissage est très importante.
Au fil des années, j'ai constaté que la maîtrise progressive de l'enseignement explicite m'a permis de ralentir mon rythme d'enseignement — non par inefficacité, mais pour créer plus d'espace pour l'interaction, l'observation et l'ajustement. Cette «lenteur pédagogique» s'avère paradoxalement plus efficace, elle permet une construction plus durable des savoirs et des compétences. J’y reviendrai dans une prochaine chronique où nous aborderons l’approche «Slow professor» et l’autorégulation.
Je crois que dans un monde où l'intelligence artificielle peut instantanément générer du contenu, la valeur ajoutée de l'enseignement réside plus que jamais dans sa capacité à guider le processus de la pensée critique et le développement de l'autonomie intellectuelle. C'est précisément ce que permet l'enseignement explicite en offrant un cadre structuré mais flexible pour accompagner chaque élève dans la construction de ses savoirs.
Références
Gauthier, C., & Tardif, M. (2017). La pédagogie (4e édition) : Théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours. Gaëtan Morin.
C. Gauthier & S. Bissonnette (2023), Enseignement explicite et données probantes. Gaëtan Morin Éditeur.
Gauthier, C., Bissonnette, S., & Richard, M. (2013). Enseignement explicite et réussite des élèves : La gestion des apprentissages. Gaëtan Morin Éditeur.
Hollingsworth, J., & Ybarra, S. (2012). L'enseignement explicite. Chenelière.
Marzano, Robert J. (2017). New Art and Science of Teaching: More Than Fifty New Instructional Strategies for Academic Success, Solution Tree Press.