Pourquoi nos élèves font-ils autant de fautes d'inattention lors de la rédaction, malgré le temps supplémentaire qu'on leur accorde ? D'où viennent ces phrases interminables et incohérentes ? Pourquoi peinent-ils à saisir l'essence des textes de manière authentique ? Comment expliquer la production de textes si mécaniques ?
La réponse à ces interrogations pourrait bien résider dans un concept clé des sciences cognitives : la surcharge cognitive.
Chanquoy, Tricot et Sweller définissent la charge cognitive comme « l'intensité du traitement cognitif mis en œuvre par un individu lorsqu'il réalise une tâche donnée dans un contexte particulier » (p. 248). Cette définition met en lumière la complexité du processus d'écriture, qui mobilise simultanément de nombreuses ressources mentales.
En effet, lorsque nous demandons à nos élèves de rédiger une analyse littéraire, nous les plaçons face à un défi cognitif de taille. Ils doivent jongler entre la structure du texte à produire, le contenu de leur analyse et les règles grammaticales et orthographiques à respecter.
Cette triple exigence crée une situation de surcharge cognitive qui explique en grande partie les difficultés que nous observons. Comme le soulignent les chercheurs, « la réalisation d'une tâche d'apprentissage implique chez l'élève la mobilisation de ressources cognitives, qui, quand elles sont toutes attribuées pour simplement réaliser la tâche requise, ne sont alors plus disponibles pour mettre en œuvre des mécanismes liés à l'apprentissage » (Chanquoy, Tricot et Sweller, p. 8).
Pour remédier à cette situation, on peut proposer des stratégies pour réduire la charge cognitive.
Séquencer pour mieux apprendre
Au lieu de considérer la rédaction comme le point culminant de la réflexion, nous pouvons la voir comme l'étape finale d'un processus bien structuré, passant du plus simple aux plus complexe, mais aussi en revenant au plus simple quand l'énergie cognitive est réduite en fin de processus.

Cette approche séquencée en 101 ne vise pas seulement l'efficacité immédiate — elle permet aussi de construire des automatismes et des stratégies qui seront précieux dans les cours suivants. Lorsque les élèves maîtrisent bien chaque étape du processus d'analyse, ils peuvent progressivement transférer ces compétences vers des textes plus complexes en 102 et en 103. L'effort cognitif initial consenti pour bien intégrer ces stratégies devient alors un investissement rentable à long terme.
Libérer la mémoire de travail
En séparant clairement ces différentes étapes, nous permettons à l'élève de concentrer ses ressources cognitives sur une tâche à la fois. Comme le notent les auteurs, « plus l'individu a de connaissances relativement à la tâche, plus il dispose de ressources mémorielles et attentionnelles pour réaliser cette tâche, c'est-à-dire de moyens pour diminuer la charge cognitive » (Chanquoy, Tricot et Sweller, p. 124).
Par exemple, lors de la révision linguistique, l'utilisation d'une méthode ciblée permet à l'élève de se concentrer sur un seul type d'erreur à la fois (accord des participes passés, puis ponctuation, etc.), libérant ainsi des ressources cognitives pour une correction plus efficace. L'automatisation progressive des processus de base libère des ressources qui pourront être consacrées à des tâches plus complexes dans les cours ultérieurs. Par exemple, un élève qui a bien intégré les mécanismes de base de l'analyse en 101 pourra plus facilement aborder les subtilités de la dissertation en 102 et 103, car il n'aura plus à consacrer autant d'énergie cognitive aux aspects méthodologiques fondamentaux.
Prioriser le processus réflexif
Cette approche met l'accent sur la qualité de la réflexion plutôt que sur la production rapide d'un texte final (700, 800 ou 900 mots en quatre heures, etc.). Elle permet aux élèves de prendre le temps nécessaire pour développer une réflexion profonde et authentique. Ils apprennent à. construire progressivement leur analyse, étape par étape. Ceci permet de réduire le stress lié à la production immédiate d'un texte complet.
Développer le sentiment d'efficacité
En décomposant la tâche complexe de l'analyse littéraire en étapes gérables, nous aidons les élèves à gagner en confiance à chaque étape accomplie, à développer leur autonomie dans le processus d'analyse et ainsi accroître leur motivation intrinsèque pour la tâche.
Cette procédure s'aligne bien avec les recommandations de Chanquoy, Tricot et Sweller qui soulignent que « l'apprentissage est un moyen de réduire la charge cognitive liée à une tâche, par élaboration de connaissances relatives à cette tâche » (p. 111). En structurant ainsi le processus d'analyse littéraire, nous aidons nos élèves à développer progressivement les connaissances et les compétences nécessaires pour gérer efficacement la complexité de cette tâche.
Cette approche structurée ne produit pas seulement des effets sur la qualité des analyses — elle influence également, de façon mesurable, la maîtrise de la langue. L'étude des données recueillies dans le cadre de notre projet pilote révèle des corrélations significatives entre la gestion de la charge cognitive et la performance linguistique.
Des effets sur le français écrit
L'analyse des données de monitorage à l'automne 2024 (n=53 élèves en première session) révèle une corrélation significative (r=0.72, p<0.01) entre la qualité de la structure et celle du français écrit. Cette relation se manifeste dès les deux premières analyses littéraires du trimestre : 85% des élèves obtenant un niveau D ou I en structure reçoivent une évaluation comparable en français écrit, tandis que 78% des niveaux M/E en structure correspondent à une meilleure maîtrise linguistique. Le suivi longitudinal confirme cette tendance : parmi les élèves qui progressent d'au moins un niveau en structure (par exemple de D vers M), 73% améliorent également leur français écrit, alors que les «blocages» structurels s'accompagnent de difficultés linguistiques persistantes dans 82% des cas.
Cette relation se manifeste concrètement dans les ratios d'erreurs : les élèves maîtrisant bien la structure (niveaux M/E) produisent en moyenne 0.45 erreurs par 100 mots, contre 1.24 pour ceux ayant des difficultés structurelles (niveau I). Ces observations suggèrent qu'en aidant nos élèves à mieux structurer leur pensée, nous favorisons également la qualité de leur expression écrite — un autre argument en faveur d'une approche qui réduit la charge cognitive pour permettre un meilleur traitement de l'information.
Ces corrélations, bien que significatives, doivent être interprétées avec prudence étant donné la taille modeste de l'échantillon et le contexte spécifique de l'étude (première session, automne 2024). Néanmoins, l'émergence récurrente de ces liens entre structure et qualité linguistique d'un trimestre à l'autre suggère une piste pédagogique souvent négligée : plutôt que de multiplier les exercices de grammaire, nous gagnerions peut-être à mettre l'accent sur l'organisation des idées. Une pensée claire et bien structurée semble naturellement se traduire par des phrases plus cohérentes et mieux construites. Et tout commencer avec des stratégies adéquates.
Cette observation rejoint d'ailleurs les conclusions de Chanquoy et al. sur l'importance de libérer des ressources cognitives : quand les élèves n'ont plus à consacrer toute leur énergie mentale à l'organisation de leurs idées, ils peuvent accorder plus d'attention à la qualité de leur expression. La clarté syntaxique apparaît ainsi comme une conséquence naturelle d'une pensée bien organisée plutôt que comme le simple résultat d'une maîtrise technique des règles grammaticales.
Au-delà du cours de littérature
La prise en compte de la charge cognitive dans l'enseignement de la littérature n'est pas seulement une question d'efficacité pédagogique, c'est aussi un moyen essentiel de permettre à nos élèves de développer une véritable appréciation des textes et de s'engager pleinement dans une réflexion critique et créative sur les œuvres.
Cette approche structurée produit des effets durables qui dépassent le cadre du cours initial. Les élèves qui ont développé une méthode de travail efficace en gestion de leur charge cognitive sont mieux équipés pour affronter les défis croissants de la séquence en littérature. Non seulement ils ont acquis des stratégies concrètes, mais ils ont aussi développé une meilleure conscience de leur processus d'apprentissage — une compétence métacognitive essentielle pour leur réussite future.
[Publié le 6 décembre 2024 | révisé le 12 décembre 2024]
Références :
Chanquoy, L., Tricot, A., & Sweller, J. (2007). La charge cognitive : théorie et applications. Armand Colin. p. 163
Bonjour Grégoire,
Qu'est-ce que "analyser l'énoncé" (en 2e dans le schéma des stratégies)? De quel genre d'énoncé s'agit-il?