# 24 | «Collaborer» avec l'IA
Une expérience de «co-intelligence» avec la création d'un plan de cours
Pour explorer une fois de plus l'intégration de l'IA dans mes pratiques professionnelles, j'ai mené une nouvelle expérience de «collaboration» avec l'IA. J'ai créé un prompt système pour le prochain trimestre et je l’ai testé sur mon prochain plan de cours afin de rendre claires et accessibles à mes futurs élèves les expérimentations que nous poursuivrons ensemble à l’hiver 2025. Je partage ici quelques apprentissages.
Un contexte spécifique, des besoins précis
Mon projet pilote, amorcé il y a un an dans mon cours d'Écriture et littérature, entre cet hiver dans une troisième phase. Après deux trimestres d'expérimentation de monitorage, d'adaptation de la Réponse à l'intervention (RàI) et de pratiques alternatives de notation (PAN), je souhaitais décrire brièvement mes approches dans un plan de cours cohérent pour l'hiver 2025.
Comment intégrer ces innovations tout en respectant le cadre institutionnel ? Comment rendre explicites ces nouvelles approches pour les étudiant·es ? Comment maintenir une rigueur pédagogique tout en assurant l'accessibilité du propos ?
Une méthodologie
Plutôt que d'utiliser l'IA comme un simple outil de rédaction, j'ai opté pour une approche méthodique en trois temps, suivant le principe énoncé par Mollick (2023, p. 52) que nous avions vu dans une chronique antérieure : «Pour l'instant, l'IA fonctionne mieux avec l'aide humaine, et vous voulez être cet humain qui aide».
D'abord, je voulais construire avec l'IA un prompt système détaillé qui servirait éventuellement de cadre pour toute la session. Pour ce faire, je me suis appuyé sur l'analyse des données recueillies lors des deux phases précédentes de mon projet. J'ai tiré des conclusions pour la suite des choses les ai formalisées dans des documents déposés dans la banque de connaissances de Claude.
Ensuite, je souhaitais utiliser ce prompt pour guider la révision du plan de cours actuel. Ce serait une première expérience qui permettrait de faire des ajustements éventuels.
Enfin, pour cette étape, je voulais valider itérativement chaque section du plan pour assurer sa clarté, sa cohérence et son accessibilité, un peu comme je l'avais fait avec la créations de certaines rétroactions plus tôt dans le trimestre.
Le prompt système
Le prompt système qui a été produit établit le cadre de référence de nos prochaines «interactions». Il contextualise d'abord la situation spécifique du cours (population étudiante, défis particuliers des groupes «hors séquence», approche ELLAC) et précise le rôle attendu de l'IA comme «assistant pédagogique». Il établit ensuite des objectifs, notamment l'équilibre de la charge cognitive et une progression différenciée. Certains principes guident la structuration des activités, l'optimisation du système de jetons et le soutien à l'apprentissage. Le prompt définit également des critères de qualité pour le matériel pédagogique, les activités d'apprentissage et l'évaluation, ainsi que des mécanismes de soutien et des standards de réussite.


Par exemple, la qualité s'évalue selon trois dimensions complémentaires. D'abord, le matériel pédagogique doit présenter des objectifs clairs, suivre une progression logique, maintenir un équilibre entre théorie et pratique, tout en établissant des liens explicites avec les compétences visées. Ensuite, les activités d'apprentissage doivent proposer une charge de travail réaliste, offrir des opportunités de pratique guidée, favoriser le développement de l'autonomie et intégrer la métacognition. Enfin, l'évaluation comme telle doit reposer sur des critères transparents et des indicateurs de progression clairs, offrir des rétroactions spécifiques et actionnables, tout en maintenant un équilibre entre les fonctions formative et sommative.
Cette structure assez complète et détaillée m'a permis d'encadrer efficacement les interactions ultérieures avec l'IA.
Ensuite la révision du plan de cours s'est appuyée sur un corpus documentaire assez substantiel : le plan de cours de l'automne, des analyses critiques antérieures (système de notation, portfolio, interventions pédagogiques), des données probantes (questionnaires d'évaluation, matrices de suivi) et des documents de travail (critères SRPNF, niveaux IDME). Si vous souhaitez une copie de mon prompt système, écrivez-moi et échangeons à ce sujet !
Vérification de la conformité aux politiques
Enfin, l'IA a procédé à une analyse comparative du plan de cours en utilisant trois documents institutionnels : la Politique institutionnelle d'évaluation des apprentissages (PIÉA), la Politique départementale d'évaluation des apprentissage (PDÉA) et la grille d'approbation des plans de cours utilisée dans notre département. Cette vérification a permis d'identifier les éléments conformes tout en repérant les points nécessitant des clarifications.
La conformité aux exigences institutionnelles représente un défi particulier, étant donné le caractère novateur de l'approche : la pratique alternative de notation (PAN), le portfolio de 14 artefacts et le système de rétroaction continue sortent un peu des sentiers battus de l'évaluation traditionnelle.
L'IA a joué un rôle clé dans cette validation, procédant à une vérification systématique aux niveaux institutionnel puis départemental. Claude a vérifié la concordance avec les balises spécifiques et a permis de démontrer que l'innovation pédagogique proposée, bien que non conventionnelle, s'inscrivait dans les cadres existants.

Une dynamique de co-intelligence
J'évite autant que possible l'anthropomorphisation, mais je dois avouer que l'aspect le plus plaisant de cette expérience est tout de même une dynamique de «co-intelligence» où chaque «partie» apporte ses forces complémentaires. L'IA excelle dans l'analyse systématique, la reformulation claire et le maintien de la cohérence globale. Mon rôle d'enseignant assure la direction pédagogique, valide la pertinence des suggestions et adapte éventuellement le contenu au contexte spécifique. Cette complémentarité permet d'optimiser le processus tout en préservant l'ancrage dans l'expertise professionnelle.
Cette expérience permet de dégager plusieurs principes pour une collaboration efficace avec l'IA en contexte pédagogique. Mollick (2023, p. 128) met en garde contre un écueil fréquent : «trop souvent, les gens se contentent de coller leur question exacte et laissent l'IA répondre. Il y a un danger à travailler avec l'IA – non seulement celui de nous rendre redondants, mais aussi celui de trop lui faire confiance». Pour éviter ces pièges, trois principes émergent de cette expérimentation.
Le premier principe consiste à maintenir une direction pédagogique claire. Cela implique de définir précisément les objectifs visés, de documenter exhaustivement le contexte et d'établir des critères de validation rigoureux. Cette clarté initiale est essentielle pour guider efficacement les interactions avec l'IA.
Le deuxième principe concerne la structuration de la collaboration elle-même. L'efficacité du travail repose sur une progression par étapes distinctes, une validation régulière des propositions générées et une documentation systématique des décisions prises. Cette approche permet de maintenir le contrôle sur le processus tout en capitalisant sur les capacités de l'IA.
Enfin, le troisième principe vise à exploiter les complémentarités entre l'humain et la machine. L'objectif n'est pas de remplacer le jugement humain ou l’expertise professionnelle, mais bien de l'enrichir en visant l'amélioration plutôt que la substitution.
Vers une pratique réflexive «augmentée» ou «partagée»
Je pense que cette expérimentation ouvre des perspectives vraiment intéressante pour l'évolution des pratiques. L'IA, quand elle est utilisée «intelligemment», peut vraiment enrichir notre pratique réflexive. Au-delà de la préparation des cours, l'IA peut enrichir de nombreux aspects du travail pédagogique : développement de matériel, conception d'activités d'apprentissage, création d'outils d'évaluation.
Dans une des premières chroniques de Codex Numeris, nous avons exploré les modèles Centaure et Cyborg de collaboration avec l'IA. Cette dernière expérience confirme encore la pertinence de ces modèles dans un contexte pédagogique. Cependant, cette approche exige une vigilance constante. La clé réside dans l'équilibre.
Je termine l'expérimentation en me disant que plusieurs pistes de recherche méritent d'être explorées (il y a beaucoup de sujets de chroniques !). D'abord, il faudrait développer des cadres méthodologiques pour guider l'intégration de l'IA dans le développement professionnel des enseignants. Ensuite, il faudrait connaître les études empiriques qui visent à évaluer l'impact de ces nouvelles pratiques, tant sur la qualité du matériel que sur l'apprentissage des étudiants.
Au courant de la prochaine année, je compte y participer par le biais de Codex Numeris. Abonnez-vous et participez aux échanges !
Références :
BOWEN, J. A., & WATSON, C. E. (2024). Teaching with AI: A Practical Guide to a New Era of Human Learning. Johns Hopkins University Press.
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'ÉDUCATION (2018). Évaluer pour que ça compte vraiment, Rapport sur l'état et les besoins de l'éducation 2016-2018. Gouvernement du Québec. [En ligne]
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'ÉDUCATION (2024). Intelligence artificielle générative en enseignement supérieur : enjeux pédagogiques et éthiques.
MOLLICK, E. (2024). Co-Intelligence : Living and working with AI. Penguin Random House.
Pour aller plus loin :
BÉLEC, C. et DORÉ, R. (2023). Une recherche collaborative pour renouveler l'enseignement de la littérature au collégial dans une optique de cohérence disciplinaire : l'intérêt d'une approche par compétence de la lecture. [Rapport de recherche PAREA]. Cégep Gérald-Godin et Cégep de Drummondville. [En ligne]
NILSON, L. B. (2014). Specifications Grading: Restoring Rigor, Motivating Students, and Saving Faculty Time. Routledge.
TALBERT, R. (2023). Grading for Growth: A Guide to Alternative Grading Practices that Promote Authentic Learning and Student Engagement. Stylus Publishing.